Boucourechliev


Le Sacre (Boucourechliev)

Sur le chemin du retour de Talachkino à Oustiloug, Stravinsky voit Diaghilev à Karlsbad et le Sacre est alors officiellement commandé. En novembre 1911, Igor recevra des mains de Diaghilev à Paris, la somme de 479 francs 80 ( !) en acompte sur ses honoraires dont on ignore le montant total.

(Le Faune : scandale de la danse de Nijinski. « L’idée de ce geste venait, selon Stravinsky (Souvenirs et Commentaires) comme tout ce qui concernait Nijinski et la mise en valeur de sa virilité, de Diaghilev)

Au printemps 1912, Stravinsky qui compose plus ou moins « linéairement », en avançant du début vers la fin, avec quelques anticipations ou retours en arrière, termine la « Glorification de l’élue ». Puis c’est la « Danse Sacrale » qui est terminée le 17 novembre.

La partition définitive est datée du 8 mars 1913.

De l’argument du Sacre, il nous reste plusieurs versions, toujours très courtes, dont nous en retiendrons trois.

La première est de la main de Stravinsky, elle est datée par Craft de 1910 quoiqu’il semble difficile d’imaginer qu’elle soit antérieure au travail fait par Stravinsky et Roerich à Talachkino en 1911, tant elle est proche de la partition musicale définitive et de ses titres internes.

Première partie : le baiser de la terre.

Célébration du printemps. Elle a lieu dans les collines. Les pipeaux jouent et les jeunes gens prédisent l’avenir. La vieille femme entre. Elle sait le mystère de la nature et comment prévoir l’avenier. Des jeunes filles avec des visages peints viennent de la rivière, en file, une par une. Elles dansent la danse du printemps. Des jeux commencent. Le jeu du rapt. On conduit des rondes printanières. On se divise en cités. Une cité contre l’autre. Dans les jeux du printemps s’enfonce comme un coin le cortège sacré du très vieux-très sage. Les jeux s’arrêtent. On attend en tremblant l’action sacrée du vieillard – la bénédiction de la terre printanière. On donne le signal. Le baiser de la terre. On danse la terre pour la sanctifier et s’unir à elle.

Deuxième partie : le Grand sacrifice

Les jeunes filles conduisent des jeux secrets, forment des cercles. L’une d’elles est promise au sacrifice. Le sort la désignera lorsqu’elle sera prise par deux fois dans le cercle sans issue. Les jeunes filles glorifient l’élue par une danse martiale. On invoque les ancêtres. On confie l’élue au sage vieillard. En leur présence (elle) accomplit la grande danse sacrale – Le Grand Sacrifice.

La seconde version mérite d’être donnée dans la mesure où elle est très peu connue. C’est celle de Nicolas Roerich qu’il communiqua à Diaghilev dans une lettre du printemps 1912 :

1) Le baiser de La Terre

Yarilo commence son adoration de la terre.

La terre commence à fleurir sa floraison d’or.

Divination avec des rameaux.

Le peuple danse pour la joie.

On cueille des fleurs et l’on salue le soleil rouge.

Le très vieux et très sage est conduit pour le baiser à la terre

Le peuple trépigne sur la terre avec une grande joie.

2) Le Grand Sacrifice

Jour et nuit les pierres sont dans les collines.

Les jeunes filles y tiennent des jeux secrets. Elles glorifient la victime. Elles appellent le très vieux, très sage comme témoin du sacrifice. Elles sacrifient la victime au beau Yarilo.

La troisième version est celle du programme que les spectateurs du 29 mai 1913 avaient eu entre les mains.

Premier tableau : l’adoration de la terre

Printemps. La terre est couverte de fleurs. La terre est couverte d’herbe. Une grande joie règne sur la terre. Les hommes se livrent à la danse et interrogent l’avenir selon les rites. L’Aïeul de tous les sages prend lui-même part à la glorification du printemps. On l’amène pour l’unir à la terre abondante et superbe. Chacun piétine la terre avec extase.

Deuxième tableau : Le grand sacrifice

Après le jour, après minuit. Sur les collines sont les pierres consacrées. Les adolescentes mènent les jeux mythiques et cherchent la grande voie. On glorifie, on acclame celle qui fut désignée pour être livrée aux Dieux. On appelle les Aïeux, témoins vénérés. Et les sages aïeux des hommes contemplent le sacrifice. C’est ainsi qu’on sacrifie à Yarilo, le magnifique, le flamboyant.

Chorégraphie

Commencées à la fin de 1912 à Berlin, après d’interminables ajournements les répétitions du Sacre se poursuivent à un rythme accéléré à Vienne, à Londres, à Monte-Carlo au gré des déplacements de la compagnie. Stravinsky est intervenu violemment à l’une des premières répétitions : dans une crise de rage il a fait renvoyer le pianiste allemand et s’est mis lui-même au piano pour jouer dans un tempo deux fois plus rapide, à la limite des possibilités physiques des danseurs, en hurlant et en trépignant. Il suit le travail de Nijinski de façon très attentive mais intermittente car il a à regagner sans cesse Clarens pour travailler à l’orchestration.

Une grande part de l’échec du Sacre est attribuée par Stravinsky à la chorégraphie de Nijinski.

« Son ignorance des notions les plus élémentaires de la musique était flagrante. Le pauvre garçon ne savait ni lire la musique, ni jouer d’aucun instrument. Ses réactions musicales, il ne les manifestait que par des phrases banales au en répétant ce que disait son entourage. N’arrivant pas à constater chez lui des impressions personnelles, on commençait à douter de leur existence. Ces lacunes étaient si graves qu’elles ne pouvaient être compensées par ses visions plastiques, parfois d’une réelle beauté. On comprend mes appréhensions… Je m’aperçus immédiatement que je n’arriverais à rien avant de l’avoir initié aux rudiments de la musique : valeurs (rondes, blanches, noires, croches, etc.) mesure, tempo, rythme et ainsi de suite. Toutes ces choses il les retenait avec infiniment de peine. Mais ce n’est pas tout. Quand, écoutant la musique, il méditait des mouvements, il fallait toujours encore lui rappeler la mesure, ses divisions et ses valeurs. C’était une besogne exaspérante, on avançait à pas de tortue. Ce travail devenait encore plus pénible que Nijinski compliquait et surchargeait ses danses outre-mesure et créait ainsi aux exécutants des difficultés parfois insurmontables. Cela tenait autant de son inexpérience qu’à la complexité d’une tâche qui ne lui était pas familière. ». (Chroniques)

Mais en 1913, immédiatement après le sacre, Stravinsky déclarait à Henri Postel : « Ils ont tort. Nijinski est un artiste admirable. Il est capable de révolutionner l’art du ballet. Il est non seulement un merveilleux danseur mais il est capable de créer quelque chose de nouveau. Sa contribution au Sacre était très importante (Lire Stravinsky, Nijinski, Dalcroze et le Sacre par Véra et Craft).