En octobre 1910 les Stravinsky déménagent pour Beaulieu-sur-Mer.
Benois écrivit son livret de Petrouchka sur les deux morceaux qui avaient déjà été composés. Avant la seconde rencontre de Benois et de Stravinsky quelques mois plus tard, un peu plus de musique avait été composée et l’histoire s’était développée. Ils entretenaient d’ailleurs une correspondance suivie.
En novembre Diaghilev est de retour à Saint-Pétersbourg et des discussions commencèrent en l’absence du compositeur.
En octobre Stravinsky et sa famille s’étaient installés à Beaulieu où Igor continue de travailler sur la partition. Quand, en décembre, Stravinsky vint rendre visite à sa mère, à Saint-Pétersbourg, Benois entendit les morceaux qui venaient d’être écrits :
« … Igor me les joua dans mon petit salon bleu, le piano était mon vieux, terriblement dur, Gentsch… Ce que j’entendis alors dépassait mes espérances… »
Après le retour de Stravinsky en France (dès le mois de mars, les trois quarts de la partition étaient achevés) Benois se mit dessiner ses décors et ses costumes pour le nouveau ballet. (Buckle)
L’hiver se passera à Beaulieu-sur-Mer. Un appartement au premier étage ; au rez-de-chaussée, quelle aubaine ! une confiserie : on mange des violettes et du mimosa au sucre. Et tandis que mon père travaillant à Petrouchka, compose les scènes de liesse populaire de la Semaine Grasse, lesquelles se déroulent à Saint-Pétersbourg sur le fond d’une nordique pénombre hivernale, sous ses fenêtres, par un brillant soleil méditerranéen, passent et repassent les masques du Carnaval de Beaulieu. Le soir mon père entraine ma mère et mes tantes au cortège et le lendemain ma soeur et moi avec cousin et cousine, à quatre pattes, ramassons dans tous les coins de l’appartement des confettis aux mille couleurs.
Toujours à Beaulieu, devant moi, deux énormes et rutilantes chasubles d’or, des nuées d’encens emplissant la salle à manger, une grande bassine de cuivre pleine d’eau, beaucoup de chants et dans mes mains un gros cierge allumé. Tout me paraît si beau ! C’est le baptême de notre petit frère. Père et mère ont toujours eu le plus grand respect pour les choses sacrées, les rites et les traditions de l’Eglise Orthodoxe. Avec les années la foi s’enracinera de plus en plus en eux et mon père lui-même que les circonstances de la vie écarteront plus tard de la pratique religieuse conservera néanmoins, au plus profond de son être, une foi inaltérée.
Encore Beaulieu. Bientôt le printemps touchant à sa fin, mon père fait un bref séjour à Rome où il termine Petrouchka puis rejoint la famille qui va reprendre le chemin de la Russie, à Oustiloug…
Théodore Stravinsky
Avril 1911, Madame Stravinsky et ses enfants repartent pour Oustiloug.
La collaboration avec Benois continue par correspondance. Par contre, Diaghilev et Nijinski arrivent à Nice par le train, le 21 mars 1911. Ils s’arrêtent à Beaulieu pour prendre des nouvelles de Stravinsky. Ils descendent au Bristol, pendant deux ou trois jours et pendant cette période Diaghilev faisait la navette entre Beaulieu et Monte-Carlo.
Pourtant : d’après le journal consulté aux Archives municipales de Fabron, leur hôtel est incendié le mardi 27 mars. Parmi la liste des hôtes de l’hôtel on trouve :
Un télégramme est envoyé par Diaghilev à Astruc le 30 mars : « Suis définitivement à Monte-Carlo ».
(Le toit de l’Hôtel Bristol est complètement détruit par l’incendie et une liste de donations est organisée pour secourir les employés de l’hôtel).
Diaghilev rencontre Raoul Gunsbourg, le directeur de l’Opéra, loue un théâtre vide, le Palais du Soleil pour les classes et les répétitions, s’installe avec Nijinski à Beausoleil, au Riviera Palace.
La troupe s’organise à Monte-Carlo et de nombreux amis arrivent : Paffka Koribut-Kubitovitch, le gentil cousin de Diaghilev, Stravinsky, quand il pouvait s’éloigner de sa partition, arrivait de Beaulieu, Benois qui surveillait les détails de la production, Gunsbourg, joyeux et immaculé, les sœurs Botkine, nièces de Bakst, Chaliapine, dont la saison de Monte-Carlo précédait celle des Ballets Russes, l’Aga Khan, qui s’accommoda de Kovaleska quand il comprit que Karsavina était trop vertueuse. La famille Grimaldi les observait d’un œil paternel. Le 6 avril, Diaghilev organise une répétition générale à Monte-Carlo. La première est le lundi suivant, 9 avril 1911.
Avril est la saison des Grands Ducs : Serge, Boris, André et Georges sont là, avec bien-sûr la Kchessinskaia. Lady Juliet Duff, une photographie, prise par le Général Besobrasov le dimanche 15 avril à un lunch au Riviera Palace : Kubitovitch, Nijinski, Stravinsky, Benois et Diaghilev, Karsavina et les Botkine.
Pendant cette période, Stravinsky vit un avion pour la première fois lors d’une visite à Monte-Carlo, et, devant son émerveillement, Diaghilev se montra ironique : « Je suppose que demain vous resterez bouche-bée en voyant un taxi ».
A Beaulieu, tous les jours un musicien ambulant jouait « Elle avait une jambe en bois ». Stravinsky l’entendait sous ses fenêtres et l’air lui parut convenir à la scène qu’il composait alors, aussi il l’écrivit. La date de cet épisode est fixée eu 20 novembre 1910, car c’est alors qu’il avait reçu les nouvelles de la mort de Tolstoï à Astapovo.
Plus tard, ils apprirent que cette chanson appartenait à un M. Emile Spencer et qu’ils devaient payer des droits d’auteur chaque fois que l’on jouait Petrouchka.
Tous les après-midi ; un joueur d’orgue de barbarie jouait ce morceau sous les fenêtres de son hôtel, à Beaulieu. L’air lui avait plu et il l’avait inclus dans la partition. « Je ne m’inquiétais pas de savoir si le compositeur pouvait être encore vivant ou si la musique était protégée par copyright. D’ailleurs Monsieur Delage qui était avec moi pensait qu’il s’agissait d’un morceau de musique ancienne.» Et puis, quelque temps après la première de Petrouchka, quelqu’un fit savoir à Diaghilev que cet air avait été composé par un certain Monsieur Emile Spencer encore bien vivant et résidant en France. Ainsi depuis 1911, une partie des droits d’auteur a été versée à Monsieur Spencer ou à ses héritiers. [16]
Sur le registre des arrivées à Beaulieu-sur-Mer, on trouve la référence d’un Monsieur Itrawinsky, avenue des Anglais, le 4 décembre, mais cela est la date de la première gazette « Avenir de Beaulieu » de l’année touristique.
D’après les références biographiques, les Stravinsky seraient arrivés au mois d’octobre, fin du mois ?
Dans le même « Avenir de Beaulieu » on relève dans chaque édition le nom de M. et Mme Béhankine, avenue des Anglais. Autre erreur d’orthographe. Il s’agit des Beliankine, beau-frère et belle-sœur d’Igor. Ludmila, sœur de Catherine, était également à La Baule et en Suisse cet été 1910.
Dans le recensement de Beaulieu, année 1911, on relève le nom : Mme Cacciardo, employée chez les Stravinsky comme cuisinière.
L’appartement de Beaulieu ; avenue des Anglais, n° 2, au-dessus d’une confiserie.
Après visite des lieux, j’opte pour l’appartement du coin de la rue Marinoni et de l’avenue des Anglais.
(Photographie de l’entrée, visite des appartements réservés aux domestiques, du relais des chevaux, boulevard Marinoni).
Photos-cartes postales du kiosque à musique, avec dans le fond la toile de la confiserie, citée par Théodore).
D’après l’actuel propriétaire de l’immeuble situé à l’angle, le 2, avenue des Anglais, sa mère louait à l’époque des appartements aux touristes, et en fait à beaucoup de russes.
Diaghilev et Stravinsky sont à Saint-Pétersbourg à la fin de l’année 1910. Buckle mentionne une visite de quinze jours en Russie, situant les dates à fin décembre. Pourtant, sur le chemin du retour, Igor s’arrête à Gênes pour célébrer son cinquième anniversaire de mariage avec Catherine, le 11 ou 24 janvier 1911.
Le Noël Russe : le 7 ou 8 janvier. Igor n’est pas parmi les siens à Beaulieu ? Peut-être a-t-il passé Noël avec sa mère.
L’empoisonnement à la nicotine survient après son retour à Beaulieu. (Les docteurs à Beaulieu sont au nombre de sept : un habitait avenue des Anglais mais il n’y a plus de trace… le docteur Ricoux habitait Villa René, son fils est également docteur aujourd’hui, mais a refusé de m’informer !)
Diaghilev accompagné de Nijinski arrive à Nice le 21 mars, d’après Buckle, il passe deux ou trois jours à Beaulieu pour voir Igor qui est en convalescence. Pourtant, d’après mes recherches, Diaghilev et Nijinski sont descendus à l’hôtel Bristol, et le 27 mars, un incendie détruit le toit du bâtiment. Dans la liste donnée par la gazette on relève les noms de : Diaghilev, Nijinski, Mme Ephrussi et un Prince Douchevsky.
Le 30 mars, Diaghilev envoie un télégramme à Astruc « Suis définitivement à Monte-Carlo ». En réalité ils s’installent à Beausoleil, au Rivera Palace.
Notons que Mme Ephrussi, également hôte à l’hôtel Bristol est la propriétaire de la Villa Ephrussi de Rothschild à Saint-Jean-Cap-Ferrat. La baronne Ephrussi de Rothschild la fit construire de 1905 à 1912. Elle était donc à Beaulieu en 1911. Grande admiratrice des Ballets Russes, elle connaissait également Stravinsky. Elle fut parmi les « Comités d’entraide aux Ballets Russes » avec Misia, Mme Greffuhle, Mme de Chevigné…
En 1909, elle avait organisé une représentation privée dans les jardins de sa maison de Paris, avenue du Bois. Elle était une « fervente admiratrice » de Karsavina… trop fervente peut-être !
A-t-elle fait visiter sa propriété du Cap Ferrat à ses amis ? Les jardins ?
Le 7 mai, Stravinsky part rejoindre Diaghilev à Rome où il finira la partition de Petrouchka le 26 mai. Après le départ en avril de sa famille, où habitait-il ? Est-il parti accompagner sa famille à Oustiloug ?
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